• La Garden Party, de Katherine Mansfield

    La Garden Party, de Katherine Mansfield

     

    Les livres de famille que l'on récupère, sans jamais avoir pensé une seconde à s'en débarasser, on ne sait jamais bien si on les lira un jour. Ils sont là comme des ombres, pèsent leur poids symbolique, et en ajoutant à cela qu'il existe tant de grands livres à lire, que la lecture devient vite une affaire de choix ... on finit comme paralysé, quant au fait de décider si, oui ou non, un livre de Katherine Mansfield méritera qu'on lui consacré un peu de temps.  

    Il y a un charme certain qui flotte autour de cette figure. La mort qui frappe tôt. La légèreté de caractère. Un physique fluet. Le nomadisme ... et un penchant pour l'écriture, donc. Voilà bien trois ans que j'ai pris connaissance de ce portrait rapide, ingrat, que j'ose servir en guise de présentation. Wikipedia vous en apprendrait plus, vous permettrait de cerner un peu mieux l'identité de cette femme qui n'a forcément que peu vécu, passée comme une silhouette pâlotte par le début de ce siècle, avant de mourir de la tuberculose.

     

    Je crois qu'elle s'est surtout illustrée dans la nouvelle. Et la Garden Party, dans cette édition là, contient deux ou trois longues textes, ainsi que d'autres récits plus courts. C'est la nouvelle au titre éponyme qui ouvre donc le bal.

    Une maison de famille dans l'effervescence. Les femmes, mère, filles, parentes plus éloignées, s'affairent à la préparation d'une garden party. C'est l'occasion de s'emporter, de faire montre d'un peu plus d'exubérance que d'habitude, de commander ses soeurs plus jeunes lorsque l'on est l'aînée. C'est aussi l'occasion, pour une petite fille, de découvrir le monde à l'extérieur, se sachant issue d'une famille riche, et de mettre sa sensibilité à l'épreuve d'un grave fait divers. En retour et en remerciement, pourrait-on dire, les faits l'instruiront d'un sentiment proche de l'indicible, et d'une forme de miséricorde, qui ne frappe jamais autant l'esprit que dans ces jeunes âges.

    Cette nouvelle est une réussite, et s'insèrerait sans difficulté aux côtés de celles du Joyce des Dublinois ou de Thomas Mann.

    L'univers familial revient sans cesse, par la suite ; sur la baie est le premier de ces récits à s'étendre plus longuement. Il nous présente une maisonnée baignant dans une atmosphère de vacances ; la famille, sous des airs désunis et un peu lâches dans les moeurs, est un système avare de dysfonctionnements. On s'y aime, s'y ment, se cache aux yeux des autres, mais seulement parce que sous ce vent qui balaie la plage, et malgré ce cadre de vie unique, peut-être n'y a-t-il pas d'autre choix que d'aspirer à autre chose : l'adolescence à la pleine possession de son corps. Le père à une reconnaissance plus formelle des efforts fournis pour contenter le mode de vie bourgeois de sa tribu, et à un obscur besoin de réussite. Le voisin rêveur à une vie plus pleine, plus en phase avec son tempérament spirituel, épris de formes littéraires et artistiques. Rien ne va, mais tout va bien. On ne sait jamais pourtant ce qui est prêt à surgir du banal, ce qui attend les vies les plus légitimes dans leur attentes ; et à ce titre, Katherine Mansfield, offrant des récits sommes toutes très classiques, n'est pas seulement une conteuse de l'ordinaire, sauf à entendre que la cruauté y ait aussi toute sa place.

     

    Dans les Filles de feu le colonel, deux vieilles filles célibataires, vivant sous la coupe de leur père, se retrouvent en train d'honorer sa mémoire tyrannique, quelques jours après son décès. Elles ne peuvent s'en remettre qu'à leur pauvre vie, leur expérience usée et recroquevillée du quotidien pour survivre à l'évènement, qui, inévitablement, devait être celui de leur vie. Un texte qui m'a paru plus long, pas forcément le plus juste, difficile à situer car cette fois non dénué d'humour, et en même temps d'un pathétique dont on peine à éprouver le tragique. Et pourtant, ce n'est pas que drôle.

    Son premier bal  nous parle effectivement d'une adolescente, qui fait ses débuts auprès d'une certaine société, avec la conscience de participer à un rite mondain qui susciterait autant l'envie que la peur. Tout en se préparant à ce que cet évènement promet d'unique, avec le sérieux et le dédain pour seules armes face aux très hautes espérances qui lui sont immanquablement associées, comment le vivre, et que penser de cette nuit où tant de jeunes gens, comme elles, dansent et participent ?  

    Je ne parle pas français est l'OVNI, si l'on peut le dire ainsi, du recueil : l'histoire d'un écrivain français, à la personnalité très narcissique, réussissant en société par une capacité naturelle à captiver et à séduire, sous toutes les acceptions possibles du terme. Il fait enfin face dans son existence à un être qui semble lui inspirer quelque envie, quelque désir de devenir, à son tour et sur le modèle de ceux qu'il captive, le serviteur d'un autre. Une nouvelle complexe et habile, entièrement basée sur l'égotisme de son narrateur, qui dévoile une pensée retorse. Je n'ai pas trouvé que cela fonctionne si bien, mais c'est un enchaînement bienvenu après les nouvelles précédentes, de facture plus classique.

     

    Je terminerai en parlant de Félicité, qui est une perle d'étrangeté domestique, de bonheur blanc et fatal. Une femme, organisant une petite réception avec des invités qui lui sont très chers, dispose autour d'elles les êtres et les choses comme un tourbillon de vie, une ivresse de contentement presque douloureuse. Quelle est sa place exacte dans cette vie rangée, si lumineuse ?

    On assiste au déroulement d'une soirée feutrée, aux conversations basses, joyeusement vagues et abandonnées aux volontés à peine plus marquées de l'un ou l'autre ou des participants. A quel point la réalité, à la manière d'un songe, pourra-t-elle investir sa soirée et questionner, pour elle sinon pour nous, sa présence au monde, et d'ailleurs, est-on sûr de quoi que ce soit, à propos de cette histoire et de sa chute ? Une nouvelle étrange, assez réjouissante.

     

    Je n'ai pas évoqué toutes les nouvelles, mais plutôt celles qui m'ont le plus marqué ; j'ai découvert avec Katherine Mansfield un auteur qui évolue à la croisée de plusieurs styles, classiques le plus souvent, mais également capables de visiter des lieux plus éthérés, d'atteindre un propos moins évident qu'il n'y paraît. J'entends par là que je lirai sans doute d'autres choses d'elles, ne serait-ce que pour retrouver, dans les nouvelles les plus "classiques" encore, un texte du même accabit, de la même finesse que la Garden Party, ou que Son premier Bal

     

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