• Aurélia - Gérard de Nerval

    Editions Gallimard, Folio, 192 p. (récits), 104 p. (notes et annexes)

    Lectures sans genre !

     

    Gérard Labrunie a pris pour pseudonyme le nom de la terre où reposent ses chers disparus ("le clos de Nerval"), avant d'entamer son voyage de poète.

    Lors de ces fameuses Nuits d'octobre, il déambule en plein Paris en compagnie d'une vague connaissance mondaine, et s'affaire à tirer de ses expériences nocturnes un peu de substance littéraire. Il est concerné par sa vocation poétique, bien qu'errant, en vérité, pour mieux occuper les quelques heures qui le séparent du jour ; il s'apprêtait à partir pour Meaux, a loupé son train et, plutôt que de rentrer chez lui, s'en va revivre pour la énième fois une de ces nuits, dont il pressent sourdement l'enseignement sybillin ; enseignement que nous situerons à cheval entre l'expérience réaliste de l'écriture, par laquelle il tente de leur restituer quelque banalité, et l'inquiétante étrangeté qui s'en dégage. Ces nuits d'octobre, dans le résumé "réaliste" qui nous en est fait, semblent taire la nature d'un mystère après lequel court le poète, ce qui n'en rendra pas sa poursuite moins palpable pour autant. C'est bien vers lui que Nerval se dirige, et j'hésite un peu à dire que ce mystère n'est, ni plus ni moins, que celui de sa folie, qui enfle, explosera à plusieurs reprises au cours de sa vie. Gérard de Nerval connaîtra en effet plusieurs épisodes, que l'on qualifierait, aujourd'hui et à priori, de maniaques.

    On aurait tort pourtant d'observer ce récit sous cet angle, et les préfaciers nous le défendent par ailleurs. Enfin, les signes de folie de l'auteur se font rares dans Les nuits d'Octobre. On est intrigué par la voix du narrateur, qui fait à la fois preuve d'humour, se révèle un excellent compagnon de visite du Paris by night de l'époque (milieu XIXème), et s'exprime dans un style aux ornements plutôt élégants, et pittoresques, si on peut me permettre l'expression.

    S'il est une chose à noter chez lui, c'est sa façon assez incroyable de nous expulser hors du temps historique, comme il convoque les visions d'un passé aimé, fabuleux souvent ; qu'il s'agisse de la logique de progression du récit, de son unité de temps, d'action ou de lieu, Nerval bouscule son lecteur, gentiment et sans que l'on y perçoive aucune volonté de sophistication. Il ne fait que suivre les circonvolutions de sa pensée, écrasant les repères temporels comme leur poids semble démentir la si grande distance qui le séparerait, lui, de ce passé dont il souffre et jubile à la fois. Nerval vit tous ces temps à la fois, et que cela soit imputable à une maladie ou à une sensibilité exacerbée n'a pas tant d'importance.

     

    Pandora est le récit qui m'a paru le plus obscur dans ce recueil : il semble cristalliser avec force des évènements autobiographiques, liés à la perte d'une maîtresse et d'un amour anciens, et la visite de la ville de Vienne. On assiste à une descente aux enfers du narrateur, tout à la fois détaché de ce malheur qui l'accable, d'autres émotions infiniment subtiles l'accaparant plus que de raison. C'est court, très dense, et mystérieux, laissant une impression confuse et peu commune.

     

    Disons-le tout net : Nerval, c'est 'achement bien. Il faut un temps, une latence pour comprendre son univers, à la fois touchant, poétique, et très envoûtant. Prenons pour exemple le dernier roman qui donne son nom au recueil ainsi constitué par Gallimard pour Folio : Aurélia, ou le récit d'une autre perte essentielle, s'agissant à la fois de la disparition d'un être aimé (comme autant de figures en "kaléidoscope", Aurélia semble au moins y figurer un archétype de la mère) et avec lui d'une essence salvatrice faite pour ce bas-monde. On chavire en pleine folie, cette fois, avec Aurélia, mais Nerval, qui écrit ce récit halluciné pour se guérir d'une crise qui l'a mené à la clinique du docteur Blanche, ne se débat pas qu'avec sa maladie mais aussi avec son oeuvre. Les émotions sont terrassantes pour lui au cours de cette dernière partie, et c'est un regard de tendresse que l'on porte sur cet être au bord de l'abîme, autant que l'on quitte ce récit troublé, dans ce que sa folie nous fait entrevoir de si poignant.

    Grande richesse des dossiers et notes de bas de page intéressantes, permettant  d'appréhender tout ce que l'auteur, et son oeuvre de façon générale, a d'unique. Il faut juste prendre le temps de s'y perdre.

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