• Le bonheur de l'imposture, de Hubert Nyssen

    Actes Sud, "un endroit où aller", 313 p. 

    Lectures sans genre !

    Pour être amené à fréquenter un auteur, il faut que quelqu'un vous en ait conseillé la compagnie. Ou qu'un média, bien informé et qui a toute votre confiance, vous recommande une oeuvre en particulier de celui-ci. Ce genre de trucs m'arrive assez rarement, mais je n'ai pas à me plaindre, les fois ou ça a été le cas, je ne me souviens pas d'avoir été déçu.

     

    Comme pour tant d'autres livres, je suis "tombé" sur celui-ci. Je connaissais Hubert Nyssen comme éditeur, fondateur et Président du Conseil de Surveillance des éditions Actes Sud. Une maison d'édition que j'apprécie assez pour les quelques découvertes que j'ai pu y faire : Paul Auster en tête, Don Delillo bien sûr, Henry Bauchau maintenant, Cesar Aira, et d'autres encore...

    Si en tant qu'éditeur, Hubert Nyssen n'en est pas à son coup d'essai, il en va de même concernant son travail d'écrivain et d'essayiste. Je me laisserais aller à quelques préciosités si je n'y prenais pas garde, car le portrait de l'homme diffusé il y a quelques temps dans l'émission Empreintes sur France 5 m'en avait fait penser du bien. Il présentait son travail, son cadre de vie et nous faisait sentir le pouls d'une Provence endormie, aux arrières cours désertes, et goûter à cette paix non domestiquée qui y régnait ; on se payait immanquablement une tranche de vie savoureuse. On la volait même, gardait pour soi une part des lumières automnales qui éclairaient les prises de vue, où notre hôte se taisait tout à coup, s'offrant peut-être autant qu'il s'égarait, toujours à dessein.

     

    Je m'étais fait le projet de découvrir un jour sa prose, et c'est chose faite. Pour tout dire, je ne sais ce qu'il en restera dans quelques mois. Je m'empresse d'y réfléchir la lecture sitôt achevée, car elle m'a laissé des impressions plutôt diverses. Jugez plutôt, en attendant, de ce qui constitue la trame de ce récit :

     

    Archibald, un homme vraisemblablement dans sa petite soixantaine, enterre son écrivain de mère, ou son écrivaine, selon que ce mot écorche ou indiffère vos oreilles. Il est accompagné de sa proche famille, en cela constituée de sa demi-soeur Karin, ainsi que de sa compagne Colette. Peut-être un ange traîne-t-il dans les parages ; plus sûrement, une nuée de journalistes est venue recueillir les impressions et, directement à la coupe, le désarroi et l'impuissance que l'on devine produits par un tel évènement. Eléonore Korab décède à l'âge de 85 ans, et laisse son fils, dont la voix s'identifiera pour nous à celle du narrateur, orphelin d'une mère fantasque, dont nous découvrons vite quelques mots choisis : Archibald se plaît d'évoquer pour nous la résolution qui, à la mort de sa mère et de la façon dont il l'avait auparavant décidé, devrait à présent l'amener chez un de ces paysagistes de l'âme. Un des ces jardiniers dont sa mère disait, selon sa formule consacrée, qu'ils étaient "habiles à disposer les passions en espalier, et les angoisses en quinconce [...] prompts à tracer des allées royales dans les souvenirs".

    C'est avec un tel projet qu'Archibald se met en tête de nous raconter pourquoi même la mort de sa mère ne le délivrera pas d'elle et, dans la perspective de tracer, préalablement à sa rencontre avec l'un de ces fameux paysagistes, une carte des territoires innombrables de sa vie, nous entretiendra tout au long de ce roman d'Eléonore Korab.

    Très vite, l'auteur installe, d'une écriture fluide, le ton qui sera celui du roman durant sa première moitié : pour présenter dans un premier temps son enfance et sa famille, un brin de dérision, assorti d'une lucidité que l'on pense exemplaire, seront observés dans le compte rendu de sa vie, dont il a le projet d'instruire, un jour, celui qui deviendra son paysagiste. Un motif qui reviendra à chaque début de chapitre, prétexte à de nouvelles incursions dans la vie qu'en amoureux transi de sa mère, Archie mène tant bien que mal. Les situations sont cocasses. Difficile, dans un premier temps, de ne pas s'amuser de ce tempérament d'amant éconduit ; mais tout commence, ou se poursuit d'une autre manière à la disparition, ou plutot la fugue de sa mère, en 1945. Il a alors 10 ans.

    Elle reparaît dans sa vie bien des années plus tard, ayant vécu un certain nombre d'aventures ; il se découvre une demi soeur, rencontre celle qui deviendra sa compagne pour le reste de ses jours. Cette mère devient un personnage à part entière, exhumée du souvenir pour bouger, parler sous nos propres yeux. Elle s'est découvert une vocation d'écrivain, et n'a de cesse de ré-inventer, au travers de romans fictionnels pour le plus large public, les morceaux épars d'une vie mystérieuse dans laquelle Archie, ou ce qu'elle veut bien y désigner comme son fils, peine à se reconnaître, comme à y atteindre une certaine vérité. Ces personnages s'entrecroisent, toujours avec une folle humeur, largement aidée par Eléonore, la mère, personnalité capable de porter, dans ses passions, les élans d'une vie aux autres transformée.

    Le motif de ses romans ne tarde pas à rassembler, autour de son déjà singulier destin, toutes les hypothèses sur sa vie, ses sentiments à l'égard de ce qu'elle a vécu, et ce qui a véritablement été, bien souvent. Archie, qui ne cesse même à trente ans de revendiquer une place de tout premier choix auprès de sa mère, est probablement celui qui comprend tout ça le moins bien, et le lecteur de s'en amuser, ou de s'en apitoyer peut-être, parfois. J'ai eu pour ma part du mal à ne pas trouver de ressorts comiques dans ses allégations. L'histoire d'Eléonore est digne d'intérêt, réserve des surprises ; on est acquis à ce livre autant pour son histoire, et par le point de vue particulièrement drôle, voire aliéné d'Archie, que par l'habileté de H. Nyssen à dérouler, l'un après l'autre, les épisodes de cette folle comédie. Qui n'est pas, à l'occasion, dépourvue de sens tragique.

    Est-il possible de faire la lumière sur cette situation, que l'on devine déjà bien faussée par la voix du narrateur ? Celui-ci compte bien, au terme du tracé préliminaire des grandes lignes de sa vie, aller le voir, ce paysagiste ...

    ...

    Je vois la scène d'ici. Je sonne, un carillon égrène quatre notes au fond de l'appartement, je devine son pas dans le couloir, on dirait qu'il a des savates aux pieds, enfin il se décide à ouvrir, et toute son expérience de la comédie humaine ne l'empêche pas de vaciller au spectacle de la vieille femme à califourchon sur les épaules d'un homme, qui s'excuse en disant qu'il n'y peut rien, que sa vie est ainsi, qu'il a toujours eu sa mère sur le dos. Jusqu'au bout.

     

    Si j'ai éprouvé du plaisir à lire ce livre, je l'ai parcouru, de la première à la dernière page, avec l'idée que je traversais un paysage tranquille, sans grandes implications. Peut-être en va-t-il ainsi des livres que l'on ne découvre qu'au prétexte d'un peu de curiosité. J'ai retrouvé, et c'est peut-être de mon fait, un auteur qui a pris le temps d'écrire cette histoire, avec cela de réussi qu'elle s'étale sur une vie entière. Je ne devrais pas être surpris de ne pas avoir ressenti d'urgence, lorsque je découvrais, les uns après les autres, les pans de vie d'Archie. Peut-être qu'il fallait prendre son temps pour le lire, et que deux jours n'étaient pas assez pour ses trois cent pages, qui ne nous trouvent pas foncièrement préparés à leur densité certaine.

    J'en retiens de bons moments de lecture, des trouvailles, et un art consommé d'écrire une histoire ; il n'y a pas à dire, H. Nyssen sait y faire, à proposer une histoire intéressante, divertissante. Une petite sensation de longueur, à un moment quand même, en points négatifs ; les rebondissements de la vie fictive d'Eléonore écrivain, et l'irritation qu'elle provoque de par son omniprésence contrarieront peut-être autant le lecteur que le narrateur. Jusqu'à retrouver, selon le juste déroulement des choses, la marque implacable du vieillissement, qui vient nous informer des intentions de l'auteur quant à ce personnage hors du commun et à son influence sur son entourage.

    Eléonore emporte des vies dans son sillage, pour le bonheur de tous, dirait-on. Le lecteur est soulagé de parvenir à la fin. Point d'amertume, mais la sensation que dans une vie, quelqu'un à consommé la chose jusqu'au bout.

    Mon sentiment de lecteur est que le livre se déploie parfois trop longuement, et de temps en temps peine en évoluant autour du seul axe fictionnel évoqué dans les romans d'Eléonore Korab ; des percées dans l'intelligence du narrateur, ou de son entourage, viennent relancer souvent notre intérêt, lorsqu'ils semblent récupérer un semblant de contrôle sur leur vie, dont la mère est, au passé comme au futur, la toute puissante gardienne.

    Ce roman, dont le propos est construit en forme de piège, interrogera les vies assoupies, ou celles qui se vivent à l'ombre de personnages parfois trop charismatiques.

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