• Cheminement des souvenirs

    Les eaux étroites, Julien Gracq

    José Corti, 72 p.

     

    Julien Gracq, une fois encore, enchante et nous appelle, à l'aide du seul titre choisi pour son ouvrage. Celui-ci, très mince, sera parcouru en une ou deux heures de temps : c'est ce qu'il semble promettre, et ce qui se vérifiera peut-être, pour certains d'entre nous capables de lire une prose si dense à une telle vitesse. Pour autant, la prose de J. Gracq est d'une telle sensualité, ses sonorités sont si travaillées, que le lire à une vitesse mécanique me semblerait plutôt dommage.

    A l'instar des autres romans parus chez José Corti, on note sur cette couverture très sobre la présence immuable d'une rose des vents autour de laquelle figurent ces mots, elliptiques, "rien de commun".

    J. Gracq, au gré d'une navigation sur l'Evre, se remémore. Lui reviennent en mémoire tant les escapades d'enfance sur ces eaux, que la promiscuité avec quelque génie des lieux, toujours éprouvée lors de ses traversées. L'Evre s'y révèle être un territoire en marge du cadastre, propice à une rêverie silencieuse, et faisant face à mille portes ouvertes sur le passé. S'agit-il seulement du passé, toutefois, et comme l'auteur remonte, au fil de ses âges successifs, ces eaux étroites, vers où s'achemine-t-il, en définitive ?

    Quelle est la nature de ce voyage, de cette fuite en avant sur des eaux planes, où, parallèlement au décor, il semble se dresser sur la route autant d'images, peu soucieuses de s'encombrer d'une quelconque logique, laissant là surgir un évènement passé et pourtant, comme par enchantement, encore à venir ? Ce défilé n'oublie pas, de la plus obscure façon, de façonner une idée du futur, et c'est cette mécanique humaine de ressouvenir, mais moins encore que sa poétique, que J. Gracq évoque au long de ces pages, pour mieux pénétrer nos aspirations à un ailleurs, ou plutôt à un autre lendemain.

    Comme aux prises avec une mystique de la pensée, et suivant le cours des eaux étroites, on peut se laisser entraîner dans le voyage imaginaire le plus réél qui soit, et laisser l'auteur en revenir lui aussi, lorsque vient le temps de refermer le livre.

    Peut-être difficiles d'accès, on aimerait faire découvrir ces eaux  à d'autres. Mais le livre porte en lui une telle densité de vie et d'expérience qu'on en ressort comme ébloui. La langue de l'auteur est complexe, mais la restitution de ce qu'il tient à décrire l'exige certainement. On ne peut sans doute pas, d'ailleurs, dissocier la destination "poétique" de ces écrits de l'intériorité qu'ils tendent à dévoiler.

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