• Une petite leçon de Fantastique

    Une petite leçon de Fantastique

     

     

    Je me rends compte que je diffère depuis longtemps mes incursions dans ce domaine, très riche, du récit fantastique. Passons sur Lovecraft, que j'ai beaucoup lu étant plus jeune, et qui m'a laissé une impression durable. J'y reviendrai un jour, certainement. En attendant, et me tenant sans doute à une certaine distance des récits "ouvertement" fantastiques, je repère sans vraiment les chercher des livres qui lorgnent vers un fantastique plus trouble, car beaucoup plus en relation avec le réel. C'est le genre de choses que m'ont promis une quatrième de couverture, celle du "Dernier des Valerii", de Henry James.

    Je crois que la Pléiade compte parmi ses nombreux volumes une intégrale des nouvelles de James. Ce qui reste, au moins, un indicateur important quant à la volonté de certaines personnes, ayant souhaité voir figurer cette oeuvre dans un panthéon institutionnalisé.

    Je n'ai pas assez de recul, je n'en aurai probablement jamais assez d'ailleurs, pour déterminer si une telle distinction doit faire office d'étalon du bon goût universel. Toujours est-il que devant ces vieilles idoles, le jeune lecteur doit tenter de se faire sa propre idée de ce qu'on lui présente.

     

    Quoi de mieux, donc, que de commencer à lire H. James dans une vieille-édition-pourrie, histoire d'enlever tout leur lustre à ces pavés hautains, qui trônent derrière des vitres cadenacées dans les librairies (ou se trouvent parfois des libraires au moins aussi hautains -pardon pour les autres) ?

    Enfin, toujours est-il que, à rebrousse poil, avec une couverture moche mais intrigante ou selon d'autres effets esthétiques plus convenus, je ne me serais jamais décidé à acheter cet exemplaire du "Dernier des Valerii", éditions Rivages Poche, s'il n'y avait eu rencontre avec le présent volume, trouvé au cours d'une brocante. Car au fond, qu'est-ce que je cherchais en prenant ce livre dans les mains, en lorgnant avec envie sur sa couverture un peu passée ? C'est peut-être ce que je pourrais avoir de plus intéressant à dire sur les nouvelles de James, c'est dire ... seulement, quand même, il n'y a déjà pas grand monde qui lit ce blog, donc je vais essayer d'en faire un petit compte rendu. 

    Je n'ai jamais rien lu de James, voici donc un avis un peu à froid sur "Le dernier des Valerii". Quatre récits fantastiques, écrits à des moments fort divers de la vie, et donc de la carrière de l'auteur ; la promesse de retrouver, à divers degrés, son adhésion aux formes classiques du récit fantastique, ou sa façon de s'en libérer pour explorer des approches plus personnelles, vers la fin de sa vie.

    Je peux d'ores et déjà dire que j'ai été plutôt emballé par cette "découverte", dont la postérité semble assurée, et qui n'attend plus que d'éventuels amateurs en retard.

     

     

    Les titres des nouvelles, pour commencer : le premier n'est pas le moins intéressant.

    "Une histoire de quelques vieilles robes"

    L'occasion de plonger dans l'atmosphère du début du XXième siècle, et l'attente fébrile, pour deux soeurs issues d'une bonne famille mais sur le déclin, d'un parti à épouser. Lequel ne tarde pas à faire son apparition dans la nouvelle.

    La narration est distancée, avec peut-être une nuance ironique par instants ; quelque chose de subtil, suffisamment pour ne pas exploser au visage, et fonctionner de fait à merveille. C'est une petite leçon d'écriture, et il faut se méfier de ce qualificatif. Ce n'est pas voyant, pas ampoulé, mais diablement maîtrisé.

    Ce "matérialisme" un peu désespéré, qui s'offre comme solution à une vie en forme d'impasse pour les deux femmes, ne m'a pas touché outre mesure, et d'ailleurs, ce n'est pas forcément un aspect qui prédomine dans le récit. James, en narrateur omniscient, s'y invite de façon plutôt froide, contemple les errements de caractère de ses deux héroïnes sans rien nous épargner de leurs formes "morales" entières : l'une choisie par le prétendant, prise dans le mouvement de la vie, plus attirante, quand l'autre plus délaissée même par l'auteur, à moins que ce ne fut par le lecteur, jalouse et se morfond. Indirectement repoussée par l'homme, mise en échec de façon plus vaste que par le simple sens amoureux, elle est en proie à des sentiments très sombres, et c'est, selon nous, plutôt naturel qu'elle le soit.

    Un accident va tout bouleverser et coûter la vie à une jeune mariée ; et une soeur, à forces d'appointances, de reniements de ses anciennes et sombres passions, donc, va se rapprocher d'un jeune veuf ; trop jeune pour porter longtemps un deuil inaltérable, celui-ci, bien qu'amer, acceptera une union avec celle qui fut sa belle soeur. 

     

    C'est à partir de ce point dans le récit, et avant cela, durant les pages où cohabitent, heureuse et prostrée, les deux soeurs, que le lecteur attend la chute convenable qui clôturera cette histoire. L'art et la manière, c'est comment y parvenir ; non pas au travers d'aménagements scénaristiques complexes, mais simplement en convoquant, de manière implacable, les sentiments noirs que l'on n'a pas su réfréner, y compris pour son propre sang. Telles deux consciences qui se toisent et en répondent, quelque chose, dans ce récit, livre combat sans se soucier de savoir qui est vivant, et qui est mort. Pas la nouvelle la plus intéressante ; James l'a écrite dans sa prime jeunesse de nouvelliste, mais déjà, c'est une forme classique et éprouvée que l'on tient là. Nullement "ostentatoire", tant du point de vue du style que du "message", si l'on peut dire, mais une satisfaction de lecture, apaisante ; comparé à ce qui attend derrière, ce n'est toutefois qu'une mise en bouche.

     

    Une histoire de quelques vieilles robes, il faudra lire la nouvelle pour y comprendre quelque chose ...

     

     

     

     

    La suite, donc : "Le dernier des Valerii"

     Un homme vieillissant mais dans une certaine force de l'âge, au moins de par le caractère, s'épanche sur un ton à la fois vaguement débonnaire et inquiet, au sujet sa fille, et de l'homme avec qui elle entend passer sa vie.

    Le futur gendre est un héritier d'une vieille famille romaine, et possède d'ailleurs, en plein coeur de la cité, une villa ancienne où respirent d'antiques souvenirs du pays. La jeune fille est éprise ; son mari, au caractère simple, au physique épais sinon musculeux, nous apparaît comme une réplique de ces statues au regard doux, et évoque au père une jeunesse particulièrement endormie, de ces sommeils incompréhensibles et paresseux, repus du temps encore à vivre, placides comme les bêtes. C'est au bras d'un tel homme, effigie vivante des temps passés, que la jeune fille se promène, riante, dans les jardins de la somptueuse villa. Le père, artiste, y passe parfois quelques heures avec son chevalet, et trouve partout matière à inspiration.

    Qui, un jour, a l'idée de procéder à des fouilles, dans certains espaces de la propriété ? Je ne le sais plus, mais il me semble que c'est une idée de la fille, qui montre quelques signes d'ennui dans ce nouveau lieu de vie. De façon à la fois capricieuse et innocente, elle s'acharne à faire commanditer ces travaux, quand son époux le lui déconseille fortement, à deux doigts même de le lui interdire. On s'étonne, avec le père, de lui voir mener ce genre de guerres domestiques, lui que l'on n'attendait pas à cette place ; mais on est surtout curieux de savoir ce qui va se passer. 

    Ce tableau idyllique n'est pas fait pour être sauvagement malmené par H. James ; ce qui participe du sentiment d'étrangeté que l'on rencontre ici, c'est à la fois la tendance du père à chercher à rationnaliser les évènements, à leur restituer une importante part de psychologie, que la situation qui empire dans la réalité tangible, et quotidienne, vécue par la maisonnée.

    Le garçon, qui avoue plus d'une fois ne rien entendre à la religion catholique, au sens d'être étranger à de telles conceptions de la spiritualité, se montre réticent devant les découvertes faites dans ses propres jardins ; une statue, notamment, d'une ancienne Vénus, semble lui inspirer une véritable frayeur, et rappeler son sang à d'antiques adorations.

     

    Ici, c'est une véritable réussite, sans conteste. Impossible de raconter ce par quoi passent, émotions comme évènements, les protagonistes de cette histoire, sans en compromettre la lecture. Tout cela est très subtil, et peut-être, en apparté, moderne d'ailleurs : le fantastique se dissimule dans les fantasmes, autorise l'ambiguïté, sans toutefois déborder suffisamment pour prétendre pouvoir être assimilé "au genre". Pour l'affirmer, il faudrait encore savoir ce qu'est ce genre, justement ; pour peu que ces écrits soient à rattacher à la tradition, me voilà avec un aperçu plutôt clair de ce fantastique-là.

    Des notes intéressantes, par ailleurs, sur la traduction par James, en anglais, de la Vénus d'Ille de Prosper Mérimée ; sa fréquentation, conjointe à celle d'authentiques personnages italiens à l'époque, ont sans doute influencé l'écriture de la présente nouvelle.

     

     

     

     

    Nona Vincent conte l'histoire d'un auteur, Allan Wayworth, et de son étrange relation avec une femme distinguée. Une relation pure comme le crystal, préoccupée par les questions intellectuelles et morales, artistiques soulevées par les écrits de l'auteur ; leurs discussions ont lieu dans le salon de la dame, dans une ambiance apaisée et attentive. Mrs Alsager n'est qu'écoute bienveillante, avisée, et extrêmement sensible, au point que ses observations sont essentielles à Wayworth.

    Le jour où il semble que l'une de ses pièces soit élue pour faire l'objet d'une mise en scène et de multiples représentations, il s'engage, aux prises avec les difficultés inhérentes à ce genre d'exercice, à donner une seconde vie à son oeuvre. Notamment en la faisant vivre au travers de personnages de chair et de sang, lesquels paraissent toujours trop peu, trop mal préparés pour incarner les modèles tragiques imaginés par Wayworth. 

    C'est l'aventure de cette mise en scène qui occupe une place importante ici ; de propos parfois plus opaque, touchant à des préoccupations qui ne m'ont pas forcément passionné, (à l'image de la relation naissante entre Wayworth et la jeune première tenant le rôle phare - Nona Vincent, donc), il semble être à la fois question d'une lente maturation amoureuse, et artistique, et des biais par lesquels elles trouvent toutes deux leur achèvement.

    Le fantastique est symbolisé par la présence blessée de Mrs Alsager, qui nous apparaît perpétuellement en retrait, inapte aux émotions négatives dans un premier temps, secrètement amoureuse, peut-être, de Wayworth ; sa connaissance des ressorts intimes de l'oeuvre de Wayworth lui donne en effet une place privilégiée pour comprendre ce qui "cloche" dans les essais de représentation, qui jusqu'au découragement écoeureront l'auteur, coincé entre ses sentiments pour une jeune actrice et l'incapacité à trouver le juste ton pour jouer le rôle qui lui est attribué. Beaucoup de choses, cette fois, s'emmêlent pour donner une situation dense, aux enjeux multiples ; j'ai mal lu cette nouvelle, je le crains ; peut-être ne m'a-t-elle pas suffisamment parlé. La chute est intéressante ; elle situe ses évènements dans un à côté du récit, verse dans une forme de fantastique touchant et mystérieux.

     

     

     

     

     Enfin, nous voici avec la dernière nouvelle, "la vraie chose à faire" : ici encore, la sensation que dans cette perfection formelle, je suis sorti un peu étourdi de ma lecture que j'ai trouvé très enthousiasmante, sans être capable de formuler vraiment en quoi, sinon qu'un sourire me vient à l'idée des "petites", des "minces" prouesses réalisées par James : étourdi, donc, c'est le mot, (avec aussi, en apparté cette fois, l'envie d'en finir avec cet interminable billet)

    George Withermore, écrivain, a été choisi par la veuve d'Ashton Doyne, écrivain également, pour rédiger une biographie sur celui-ci. Les deux hommes se connaissaient , et passé l'interrogation du biographe quant à sa légitimité pour le projet, il se met au travail, dans le cabinet de travail où écrivait Doyne.

    Quelque chose semble le pousser, sereinement, à accomplir cette tâche. Une force ; une présence même. Et nombre de coïncidences se produisent, comme lors des recherches de papiers nécessaires à l'établissement de la biographie, mystérieusement facilitées par un coup de vent, qui dépose du haut d'une pile vers le sol un des documents tant recherchés. Telle ouverture d'un livre à la bonne page, juste assez pour tomber sur l'indication qui devait faire avancer le travail  ...

    C'est persuadé que son ami, en personne, l'aide dans ses travaux, que Withermore se laisse aller aux appointances avec quelque chose de proprement surnaturel.

    Le clou, d'un point de vue "fantastique, du recueil se trouve peut-être dans ces quelques pages, pour la nouvelle la plus courte des quatre. Difficile de ne pas trop en dire.

     

    150 pages, il n'y a vraiment qu'à se jeter dessus, sans hésitation aucune, finalement.

     

     

     

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