• Obsidio, de Johan Héliot

    Obsidio, de Johan Héliot

     

    Première incursion dans l'univers d'un de nos "petits Frenchies" versant dans les "mauvais genres" : Johan Héliot.

    J. Héliot a "fait son trou" dans le milieu depuis quelque temps. Je ne connais pas ses publications antérieures ; il revient des noms comme "La Lune seule le sait", (steampunk) et d'autres titres que je ne connais pas forcément de nom, plutôt nombreux. Voilà quelqu'un qui écrit, qui s'y attelle en tout cas. Quelqu'un qui en vit - tente d'en vivre ? Cette remarque non pas pour préparer un réquisitoire contre ceux qui font de leur "art" un métier (contre quoi échangent-ils leur besoin de productivité, de manger ? ) mais plutôt, à l'inverse, pour leur tirer mon chapeau.

    Je ne sais pas pourquoi : je les imagine travailleurs, plutôt humbles, et très humbles parce que travailleurs. Honnêtes quant à leur démarche. Une forme de remède, d'antithèse à la grisaille de l'écrivain poseur, et pire encore, à l'image que l'on s'en est faite, et que l'on traque peut-être partout lorsque l'un d'entre eux se met en tête de parler.(ce qui signifie que les spectateurs sont aussi coupables que l'auteur)

    L'écrivain "de métier" semble s'assumer plus volontiers comme un "tâcheron", et si j'ai conscience que le mot ne véhicule pas un sens très heureux au regard de la démonstration que je tente de faire, il y a là de quoi me fasciner, moi qui éprouve trop de respect pour l'écriture, qui la sacralise sans doute plus que de raison alors même que je tente de l'apprivoiser. Disons que si ce respect, cette sacralisation excessive n'est encore qu'un versant trop incliné de mon goût pour la lecture (et pas forcément la plus intelligente, j'ai tendance à le croire) où tout veut s'offrir, le rapport plus décomplexé peut-être (et par là même plus réfléchi, plus poussé) qu'ils entretiennent avec leur écriture (au point de produire, oui !) est pour moi une forme d'exemple, en bref. Vous l'aviez peut-être compris, et ce depuis quelques lignes ... ( **barissement d'éléphant**)

     

    Enfin, pour en venir aux faits, et pour être tout à fait honnête, voilà quelques mois que j'ai achevé la lecture d'Obsidio. Emprunté à la bibliothèque pour de courtes vacances en Corse. (Je place assez habilement, encore, une mention à la vie trépidante que je mène, et qui explique qu'il y ait si peu d'articles sur ce blog. (Si peu de lecteurs aussi ! )) 

    Obsidio, c'est trois nouvelles, ou plutôt une novella, une nouvelle, et pour terminer la novella éponyme, en clôture du recueil : je me rappelle aussi du titre de la première, qui m'a le plus marqué, et qui s'intitule "les maux blancs".

     

    Si l'on doit parler de réussite, c'est dans une certaine mesure le cas ici.

    L'ambiance n'est pas sans m'évoquer, pures sensations "visuelles", un avatar de Kill Bill pour les protagonistes de cette histoire, un récit "borderline" qui rassemble du fantastique, et presque du comics par moment, au vu des évènements et scènes convoquées.

    Le narrateur, commençant par rapporter quelques souvenirs d'enfance, nous amène à la rencontre de son père, un tueur à gage. Un homme qui parcourt le globe à la recherche de ses proies, dans une ancienne voiture de luxe. Un homme aux traits usés, cadavérique, atteint d'une mystérieuse maladie. Transpirant une sueur mêlée de goutelettes de sang, toujours affublé d'une paire de gants blancs, aussi blancs que son costume.

    Un homme de peu de mots et à l'allure quelque peu anxiogène, qui transporte son fiston à l'arrière. Il lui apprend, à mesure qu'il grandit, à le seconder dans ses missions.

    Un "accident" de la vie les sépare ; et le fiston n'a pas particulièrement apprécié la manière. Il s'estime abandonné. Des années plus tard, entré dans le métier lui aussi, c'est entre ses souvenirs et la fameuse traque qui l'occupe alors, qu'il nous apprend être lancé à la poursuite de son père. Et pas vraiment pour déposer une bise sur sa joue ensanglantée.

    Outre le fait que cette histoire réserve de nombreuses surprises, que l'auteur aie veillé à ce que le rythme ne subisse d'autres fluctuations que celles voulues par lui, il y a quelques thèmes porteurs dans cette novella. L'identité comme quête, la chasse du père, bien sûr, mais également une espèce de trajectoire folle, sans freins, que l'on prend plaisir à suivre. Le personnage est bien entendu une tête abîmée, et sa psychologie est intéressante : l'auteur réussit à emmêler un certain nombre de fils narratifs et de caractérisation vraiment réussis.

    Il y a souvent une forme d'empressement qui n'est pas innocente dans ce récit ; l'impression que ça va vite, trop vite parfois, est comblée justement par les accélérations que l'on ne peut que suivre, et admettre enfin ... ! Oui, c'est un peu stupide, dit comme ça.

    En quelque sorte la "voix" du narrateur, qui raconte à la première personne, use de nombreux "tics", dont celui d'une forme de confidence dans l'action. On prend de plus en plus connaissance du personnage en même temps que l'histoire s'emballe, et la sensation de se trouver dès le départ "sur la brèche" ne m'a pas forcément convenu. C'est à la fois réussi et trop bien "emballé", trop ficelé, peut-être. Je ne sais pas comment expliquer cette sensation qui résulte pourtant d'une addition de plusieurs points positifs ; peut-être le côté trop percutant des répliques, l'enchaînement rapide de scènes "qui font mouche" manquent-elles de naturel. Il me semble qu'il cohabite aussi parfois, à un certain degré, des univers et des représentations mal "assimilés" les uns aux autres.  

    Pour autant, je ne vois pas comment, à renforts de tels ou tels aménagements, l'auteur aurait-il pu rendre l'histoire plus intéressante; il y a suffisamment de densité pour nous faire admettre que l'auteur à su exposer ce qui devait l'être, mais si on y rajoute la vitesse de croisière, qui donne un certain tournis, on ne peut qu'admettre qu'elle semble aussi s'exercer à cet avantage. Je ne sais pas ce que ça donnerait plus étalé. Au final, "les maux blancs", on n'y touchera pas de toute façon, et on le lit tel quel. En plus, je ne l'ai pas lu dans un esprit critique, et pour rendre justice je dois dire m'être laissé entraîner avec curiosité jusqu'au dénouement final.

     

    La seconde nouvelle est plus courte, et se présente sous un abord moins romanesque. On suit le quotidien d'un cadre supérieur, dévoué, acquis, complice de la vie austère qu'il mène dans son entreprise.

    Moins romanesque peut-être, mais le thème m'a immédiatement happé, du fait de ma lecture de Cleer, de L. L Kloetzer. Pourquoi ces "héros" des temps modernes, ces tenants de la nouvelle grande quête métaphysique, (l'entreprise !), pourquoi donc l'entreprise et son fonctionnement fantasmatique, sa fausse vitesse, son inertie, se prêtent-ils si bien aux ambiances oniriques, mystérieuses ? Parce que sous leurs rouages où il ne se dissimule absolument rien en réalité, on ne peut ne pas rêver d'introduire, derrière ce néant et la morbidité de son efficacité en flux tendus, toujours plus avide, qu'un peu plus de fantasme.

    Ici ce décor semble s'user jusque dans les yeux du protagoniste, sans aucun mystère. Mais tout va changer, très vite... Le propos n'est pas là où les Kloetzer sont allés le chercher : c'est une courte nouvelle, aussi il me semble difficile d'en dire plus sans vous raconter directement les tenants et aboutissants de l'histoire.

     

    On arrive sur Obsidio, la novella que j'attendais avec une certaine impatience, et qui m'a vraiment laissée sur ma faim. C'est l'histoire d'une petite ville banlieusarde en France, et de l'irruption d'un phénomène paranormal dans sa petite vie quotidienne.

    Une galerie de personnages aux personnalités assez marquées ; un médecin misanthrope qui couche avec sa secrétaire junkie, des jeunes un peu racailleux mais pas méchants ... un ado introverti, sa professeur de français dont il est amoureux. Une ville qui peu à peu se vide de sa population, et des survivants, barricadés dans un même lieu et effrayés. Stephen King : oui, la quatrième de couv' n'en fait pas un mystère, Johan Héliot paye une forme de tribut à cet auteur, et l'on nous suggère que sous un certain angle, on pourrait avoir ici une idée d'un S. King "à la française", c'est à dire reprenant pour décor, pour atmosphère des éléments sociaux, culturels biende chez nous. Sur le papier, une idée qui m'emballait beaucoup.

     

    Et j'en attendais beaucoup trop : même si manifestement, un effort est fait pour proposer une intrigue, un propos originals, j'ai trouvé que le tout progressait de façon poussive. Une forme de convenu, et une façon d'amener l'histoire vers son dénouement, que l'on entre-aperçoit assez tôt. J'ai eu du mal à me passionner pour les personnages, qui sont vraiment, dans un tel récit, la chair même de l'histoire.

    Il y aurait beaucoup de choses à dire sur Obsidio : pour moi, il conjugue de façon assez étonnante la démonstration d'un auteur en possession de ses moyens certes, mais d'une histoire qu'il peine à rendre intéressante, vraiment vivante, malgré les promesses.

    Des lieux emblématiques, presque archétypaux, nous apparaissent ; j'en attendais beaucoup également : les deux banlieues qui se font face, la zone de terrain vague et de collines, où la nature est laissée en friche, (c'est d'ailleurs son nom, les Friches). Ce sont presque des gimmicks de fantastique, avec réminiscences adolescentes ; c'est un peu dur peut-être de le dire comme ça, mais je peux ajouter que ce gimmick faisait précisément partie de ce qui m'avait attiré dans la présentation de la nouvelle. Des repères précis que l'on attend de voir transformés, revisités voire poussés entièrement vers l'horreur, ou l'étrange ; pour ma part, je n'ai pas ressenti ces choses, bien que dans le sens littéral, étrangeté et horreurs soient tout à faits présent. Et d'ailleurs, en amenant ces évènements certes attendus, au travers de l'intensification dramatique de ceux-ci, on se dit que c'est autre chose que ce petit roman a à nous cacher. Au final, l'hommage appuyé ne se montre pas, à mon sens, sous son meilleur jour. Les personnages semblent prisonniers de leur destin de papier, on attend la tuile qui va leur tomber sur le coin de la gueule sans vraiment en ressentir de plaisir. C'est le propos de ce genre d'histoire, et peut-être devrais-je saluer cette incursion sommes toutes réussie en "terrain connu" mais j'aurais aimé que ce soit moins "ficelé" (cette fois encore), plus libre, en quelque sorte. Que le passage de l'auteur, la conceptualisation de son histoire soient moins visibles. Bref, je peine à trouver les quelques phrases qui rendraient ces explications plus parlantes.

    Je ne sais pas si je découvrirais d'autres livres de Johan Héliot. Ce sera avec curiosité, et plaisir peut-être, que j'en reprendrais un toutefois, si un de ces prochains ou anciens livres me tombe sous la main.

     

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