• Blaguàparts, Don Lorenjy

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  • Le déjeuner des bords de Loire, Philippe Le Guillou  

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  • Les eaux étroites, Julien Gracq

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  • Le ravissement de Lol V. Stein, Marguerite Duras

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  • 10 18 poche, 272 p. 

    Lectures sans genre !

     

    Il paraît que les romans, nouvelles de John Fante ont gagné leur succès un peu grâce à Charles Bukowski, qui ne cachait pas son admiration pour l'écrivain. Une reconnaissance tardive, et ceci implique probablement une découverte tout aussi tardive pour un plus large public.

    Et voilà, en plein dans ce large public, je tombe dessus comme on tomberait sur une vieille connaissance qui a oublié votre nom, et avec qui on s'embarquerait pour quelques verres, sans sentir peser l'obligation de retrouvailles en bonne et dûe forme. Vous n'avez qu'à l'écouter (il a plus de choses à dire que vous, et les dit mieux), à prendre tout ça en fond de gorge comme une lampée de whisky, ça brûle un peu au passage, ou c'est un peu commun mais le retour en bouche aura bien un petit quelque chose à vous raconter aussi. Bref, vous prenez tout ce qu'il y a à prendre, et passée ces quelques heures, maintenant qu'il vous dit au revoir d'une main un peu flasque, le dos déjà tourné, il se trouve que vous avez passé une très bonne soirée.

    Vous pouvez toujours réfléchir au pourquoi du comment, reste que ce bonhomme vous a touché quelque part, et que sous des airs (une effluve) d'ivrogne, il est fin et parle au plus près des aspirations de tout un chacun. Il décrit avec ardeur des épisodes de vie qui, sans ressembler le moins du monde aux vôtres, ont un tel accent de sincérité...

    ... ou comment saisir dans le même temps l'aspect dramatiquement précaire, mais aussi comique, de la situation d'Arturo Bandini, alter ego de John Fante, une vingtaine à peine entamée, tentant dans une grande ville poussiéreuse, américaine, de venir au monde en tant qu'homme et en tant qu'écrivain. Tout en raillant le grandiloquent de ses aspirations, faisant preuve d'un certain génie dans la dérision il gueule contre lui-même, navigue entre ses authentiques névroses de fils d'immigré italien et son tempérament un brin auto-destructeur.

     

    C'est parti pour la mauvaise vie, l'écriture, les hôtels sordides et ces pages qui se tournent, et se tournent encore, qui filent entre les doigts comme du rien, comme du temps écoulé gratuitement...

    J'en reprends.


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  • Editions Gallimard, Folio, 192 p. (récits), 104 p. (notes et annexes)

    Lectures sans genre !

     

    Gérard Labrunie a pris pour pseudonyme le nom de la terre où reposent ses chers disparus ("le clos de Nerval"), avant d'entamer son voyage de poète.

    Lors de ces fameuses Nuits d'octobre, il déambule en plein Paris en compagnie d'une vague connaissance mondaine, et s'affaire à tirer de ses expériences nocturnes un peu de substance littéraire. Il est concerné par sa vocation poétique, bien qu'errant, en vérité, pour mieux occuper les quelques heures qui le séparent du jour ; il s'apprêtait à partir pour Meaux, a loupé son train et, plutôt que de rentrer chez lui, s'en va revivre pour la énième fois une de ces nuits, dont il pressent sourdement l'enseignement sybillin ; enseignement que nous situerons à cheval entre l'expérience réaliste de l'écriture, par laquelle il tente de leur restituer quelque banalité, et l'inquiétante étrangeté qui s'en dégage. Ces nuits d'octobre, dans le résumé "réaliste" qui nous en est fait, semblent taire la nature d'un mystère après lequel court le poète, ce qui n'en rendra pas sa poursuite moins palpable pour autant. C'est bien vers lui que Nerval se dirige, et j'hésite un peu à dire que ce mystère n'est, ni plus ni moins, que celui de sa folie, qui enfle, explosera à plusieurs reprises au cours de sa vie. Gérard de Nerval connaîtra en effet plusieurs épisodes, que l'on qualifierait, aujourd'hui et à priori, de maniaques.

    On aurait tort pourtant d'observer ce récit sous cet angle, et les préfaciers nous le défendent par ailleurs. Enfin, les signes de folie de l'auteur se font rares dans Les nuits d'Octobre. On est intrigué par la voix du narrateur, qui fait à la fois preuve d'humour, se révèle un excellent compagnon de visite du Paris by night de l'époque (milieu XIXème), et s'exprime dans un style aux ornements plutôt élégants, et pittoresques, si on peut me permettre l'expression.

    S'il est une chose à noter chez lui, c'est sa façon assez incroyable de nous expulser hors du temps historique, comme il convoque les visions d'un passé aimé, fabuleux souvent ; qu'il s'agisse de la logique de progression du récit, de son unité de temps, d'action ou de lieu, Nerval bouscule son lecteur, gentiment et sans que l'on y perçoive aucune volonté de sophistication. Il ne fait que suivre les circonvolutions de sa pensée, écrasant les repères temporels comme leur poids semble démentir la si grande distance qui le séparerait, lui, de ce passé dont il souffre et jubile à la fois. Nerval vit tous ces temps à la fois, et que cela soit imputable à une maladie ou à une sensibilité exacerbée n'a pas tant d'importance.

     

    Pandora est le récit qui m'a paru le plus obscur dans ce recueil : il semble cristalliser avec force des évènements autobiographiques, liés à la perte d'une maîtresse et d'un amour anciens, et la visite de la ville de Vienne. On assiste à une descente aux enfers du narrateur, tout à la fois détaché de ce malheur qui l'accable, d'autres émotions infiniment subtiles l'accaparant plus que de raison. C'est court, très dense, et mystérieux, laissant une impression confuse et peu commune.

     

    Disons-le tout net : Nerval, c'est 'achement bien. Il faut un temps, une latence pour comprendre son univers, à la fois touchant, poétique, et très envoûtant. Prenons pour exemple le dernier roman qui donne son nom au recueil ainsi constitué par Gallimard pour Folio : Aurélia, ou le récit d'une autre perte essentielle, s'agissant à la fois de la disparition d'un être aimé (comme autant de figures en "kaléidoscope", Aurélia semble au moins y figurer un archétype de la mère) et avec lui d'une essence salvatrice faite pour ce bas-monde. On chavire en pleine folie, cette fois, avec Aurélia, mais Nerval, qui écrit ce récit halluciné pour se guérir d'une crise qui l'a mené à la clinique du docteur Blanche, ne se débat pas qu'avec sa maladie mais aussi avec son oeuvre. Les émotions sont terrassantes pour lui au cours de cette dernière partie, et c'est un regard de tendresse que l'on porte sur cet être au bord de l'abîme, autant que l'on quitte ce récit troublé, dans ce que sa folie nous fait entrevoir de si poignant.

    Grande richesse des dossiers et notes de bas de page intéressantes, permettant  d'appréhender tout ce que l'auteur, et son oeuvre de façon générale, a d'unique. Il faut juste prendre le temps de s'y perdre.


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  • Livre de poche, 115 p. 

    Lectures sans genre !

     

    Knulp est un vagabond. Le monde est à lui et il se saisit, lorsque occasion se présente, des circonstances pour en faire un plaisant exutoire, ou une plus amère expérience. Car par delà l'idéal, la volonté de vivre en marge, libéré de la convention sociale et des exigences qu'elle saura avoir pour tout un chacun, il y a le quotidien choisi, éprouvé et fugitif. Comme pour tout un chacun.

    Cette existence à laquelle s'adonne Knulp, à l'écart de toute gloire et s'efforçant de conquérir sa part de bonheur, n'a que peu d'éclat. On y découvre des jours un peu ternes, avant peut-être d'entendre que le sens de ce mot n'évoque pas vraiment la pâleur, mais une patine encore belle à observer, où la vie s'est lissée de ses grandes (trompeuses?) aspirations, pour choisir de ne pas se consumer dans l'attente. Elle n'offre, en cela, pas seulement la liberté, mais aussi de franches désillusions. Il semblerait que Knulp, en embrassant cette vie de vagabond, ai atteint ce dont les autres ne font que rêver ; un ailleurs, ou un autrement peut-être. Mais s'est-il, finalement, privé du fruit de ce rêve désormais réalisé? Quand les autres se satisfont peut-être, à meilleur escient, d'une vie la main tendue, vers l'espoir supérieur et le mirage de l'attente ? 

    Aussi, lorsque viendra un temps où la jeunesse ne sera plus exactement de mise ... quel accueil va-t-on, parmi ses anciennes connaissances et à travers les villages jadis traversés, réserver à Knulp, maintenant que des temps plus sombres se profilent ?

    Ce très court roman, où l'on perçoit en écho (forcément) les thèmes chers à Hermann Hesse, dresse le portrait d'un être blessé mais traversé par la lumière. Prêt à payer pour ce qu'il est, mais à vivre aussi. Pour autant, il lui faudra boire, encore, à la coupe de l'amertume. La liberté a un prix et la société, dans ce qu'elle a de plus aliénant, semble en mesure d'en fixer le montant.

    Je m'aperçois qu'il est extrêmement difficile de parler de ce petit livre, très fin sous ses airs juste esquissés. On pourrait lui reprocher son allure un peu ramassée, l'écriture qui, contrairement à d'autres oeuvres de Hermann Hesse, apparaît parfois vieillotte (traduction ?) ; c'est sans compter la force de démonstration qui apparaît, de façon certes un peu voyante, aux détours du récit et de son lent acheminement vers la conclusion. (la tournure des dialogues, comme la forme du propos, revêt parfois les atours de la parabole).

    De Hermann Hesse, préférez de loin le loup des steppes , s'il fallait n'en lire qu'un, toutefois.

     


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  • Editions Gallimard, collection L'Imaginaire, 192 p.

    Lectures sans genre !

     

    ... sous titré "Les Anges".

    Giono où on ne l'attendait pas, où le commun des mortels, disons, ne l'attendait pas. Si cet illustre auteur vous évoque une Provence sauvage, des hameaux noyés dans un paysage d'aquarelle, vous n'êtes pas loin du compte, bien au contraire. Idem si vous pensez à un hussard se baladant sur un toit.

    Mais avouez qu'un équipage de marins, quelque part au début du XXème siècle, en route pour une mystérieuse destination... ça a de quoi surprendre.

    Autant le dire, Giono fait preuve d'une aisance certaine à nous y embarquer. Nous assistons au départ, prenons note d'un vocabulaire de navigant auquel il y a de grandes chances que nous n'entendions rien. Et pourtant, déjà, il souffle un vrai vent de liberté sur ce départ ; ces quelques termes de technique, l'exécution successive des manoeuvres, les remarques sur la prise au vent participent plus du déploiement d'une invisible membrane, propice au rêve, que de préparatifs ancrés dans leur routine. Qu'il ne soit jamais, pas une seule fois, question d'une destination nous interpelle également ; et si ces impressions nous parviennent, c'est sans doute parce que Giono l'a voulu ainsi, et que dans l'utilisation de ces jargons pour lesquels il lui a nécessairement fallu se documenter, il a trouvé un ton qui relève, dans l'intention, de l'envol.

    Fragments d'un Paradis constitue, selon la postérité laissée par son auteur, un ensemble de notes, d'ébauches préparatoires à l'écriture d'un poème. Voilà qui nous éclaire sur l'épaisseur, relativement mince, du livre au regard de l'aventure promise. Où allons-nous ? A la rencontre d'un idéal. Avec qui y allons-nous ? Avec plusieurs membres d'un équipage aux métiers, aux personnalités fort différenciées ; ils ont peu en commun, bien qu'une chose, qu'un homme plutôt, en la personne du capitaine, les ait expressément rassemblés. Une galerie de personnages marquants, habités d'un même rêve aux contours flous.

    Un récit sur la solitude de l'homme, sur son irrépressible besoin d'avancer, sur le rêve comme solution contre la vie blafarde de ces cités grises où l'homme s'est enfermé. Giono à réunit ici une poignée d'hommes prêts à s'ouvrir à quelque chose de beaucoup plus grand qu'eux, et a tenu à nous les montrer aussi effrayés qu'inspirés, démunis face à leurs aspirations, limités de par leur condition, et pourtant de toutes forces lancés vers le destin auquel ils ne cesseront de courir.

    J'oubliais : un style bien plus épuré que ce à quoi Giono m'a habitué (et si mes souvenirs sont pertinents), parcouru de fulgurances, de passages où par le truchement d'un vocabulaire terrien, Giono parvient à humaniser, et à nous rendre accessibles ces espaces de haute mer. Il n'a pas bougé de sa chaise pour cela, et nous n'en avons pas besoin non plus !

     

    "Ici ce sont les anges, qui, précédés de grondements d'abîmes et de parfums, apparaissent."

     

    Si l'humeur vous en prend, n'hésitez pas. 


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  • Actes Sud, "un endroit où aller", 313 p. 

    Lectures sans genre !

    Pour être amené à fréquenter un auteur, il faut que quelqu'un vous en ait conseillé la compagnie. Ou qu'un média, bien informé et qui a toute votre confiance, vous recommande une oeuvre en particulier de celui-ci. Ce genre de trucs m'arrive assez rarement, mais je n'ai pas à me plaindre, les fois ou ça a été le cas, je ne me souviens pas d'avoir été déçu.

     

    Comme pour tant d'autres livres, je suis "tombé" sur celui-ci. Je connaissais Hubert Nyssen comme éditeur, fondateur et Président du Conseil de Surveillance des éditions Actes Sud. Une maison d'édition que j'apprécie assez pour les quelques découvertes que j'ai pu y faire : Paul Auster en tête, Don Delillo bien sûr, Henry Bauchau maintenant, Cesar Aira, et d'autres encore...

    Si en tant qu'éditeur, Hubert Nyssen n'en est pas à son coup d'essai, il en va de même concernant son travail d'écrivain et d'essayiste. Je me laisserais aller à quelques préciosités si je n'y prenais pas garde, car le portrait de l'homme diffusé il y a quelques temps dans l'émission Empreintes sur France 5 m'en avait fait penser du bien. Il présentait son travail, son cadre de vie et nous faisait sentir le pouls d'une Provence endormie, aux arrières cours désertes, et goûter à cette paix non domestiquée qui y régnait ; on se payait immanquablement une tranche de vie savoureuse. On la volait même, gardait pour soi une part des lumières automnales qui éclairaient les prises de vue, où notre hôte se taisait tout à coup, s'offrant peut-être autant qu'il s'égarait, toujours à dessein.

     

    Je m'étais fait le projet de découvrir un jour sa prose, et c'est chose faite. Pour tout dire, je ne sais ce qu'il en restera dans quelques mois. Je m'empresse d'y réfléchir la lecture sitôt achevée, car elle m'a laissé des impressions plutôt diverses. Jugez plutôt, en attendant, de ce qui constitue la trame de ce récit :

     

    Archibald, un homme vraisemblablement dans sa petite soixantaine, enterre son écrivain de mère, ou son écrivaine, selon que ce mot écorche ou indiffère vos oreilles. Il est accompagné de sa proche famille, en cela constituée de sa demi-soeur Karin, ainsi que de sa compagne Colette. Peut-être un ange traîne-t-il dans les parages ; plus sûrement, une nuée de journalistes est venue recueillir les impressions et, directement à la coupe, le désarroi et l'impuissance que l'on devine produits par un tel évènement. Eléonore Korab décède à l'âge de 85 ans, et laisse son fils, dont la voix s'identifiera pour nous à celle du narrateur, orphelin d'une mère fantasque, dont nous découvrons vite quelques mots choisis : Archibald se plaît d'évoquer pour nous la résolution qui, à la mort de sa mère et de la façon dont il l'avait auparavant décidé, devrait à présent l'amener chez un de ces paysagistes de l'âme. Un des ces jardiniers dont sa mère disait, selon sa formule consacrée, qu'ils étaient "habiles à disposer les passions en espalier, et les angoisses en quinconce [...] prompts à tracer des allées royales dans les souvenirs".

    C'est avec un tel projet qu'Archibald se met en tête de nous raconter pourquoi même la mort de sa mère ne le délivrera pas d'elle et, dans la perspective de tracer, préalablement à sa rencontre avec l'un de ces fameux paysagistes, une carte des territoires innombrables de sa vie, nous entretiendra tout au long de ce roman d'Eléonore Korab.

    Très vite, l'auteur installe, d'une écriture fluide, le ton qui sera celui du roman durant sa première moitié : pour présenter dans un premier temps son enfance et sa famille, un brin de dérision, assorti d'une lucidité que l'on pense exemplaire, seront observés dans le compte rendu de sa vie, dont il a le projet d'instruire, un jour, celui qui deviendra son paysagiste. Un motif qui reviendra à chaque début de chapitre, prétexte à de nouvelles incursions dans la vie qu'en amoureux transi de sa mère, Archie mène tant bien que mal. Les situations sont cocasses. Difficile, dans un premier temps, de ne pas s'amuser de ce tempérament d'amant éconduit ; mais tout commence, ou se poursuit d'une autre manière à la disparition, ou plutot la fugue de sa mère, en 1945. Il a alors 10 ans.

    Elle reparaît dans sa vie bien des années plus tard, ayant vécu un certain nombre d'aventures ; il se découvre une demi soeur, rencontre celle qui deviendra sa compagne pour le reste de ses jours. Cette mère devient un personnage à part entière, exhumée du souvenir pour bouger, parler sous nos propres yeux. Elle s'est découvert une vocation d'écrivain, et n'a de cesse de ré-inventer, au travers de romans fictionnels pour le plus large public, les morceaux épars d'une vie mystérieuse dans laquelle Archie, ou ce qu'elle veut bien y désigner comme son fils, peine à se reconnaître, comme à y atteindre une certaine vérité. Ces personnages s'entrecroisent, toujours avec une folle humeur, largement aidée par Eléonore, la mère, personnalité capable de porter, dans ses passions, les élans d'une vie aux autres transformée.

    Le motif de ses romans ne tarde pas à rassembler, autour de son déjà singulier destin, toutes les hypothèses sur sa vie, ses sentiments à l'égard de ce qu'elle a vécu, et ce qui a véritablement été, bien souvent. Archie, qui ne cesse même à trente ans de revendiquer une place de tout premier choix auprès de sa mère, est probablement celui qui comprend tout ça le moins bien, et le lecteur de s'en amuser, ou de s'en apitoyer peut-être, parfois. J'ai eu pour ma part du mal à ne pas trouver de ressorts comiques dans ses allégations. L'histoire d'Eléonore est digne d'intérêt, réserve des surprises ; on est acquis à ce livre autant pour son histoire, et par le point de vue particulièrement drôle, voire aliéné d'Archie, que par l'habileté de H. Nyssen à dérouler, l'un après l'autre, les épisodes de cette folle comédie. Qui n'est pas, à l'occasion, dépourvue de sens tragique.

    Est-il possible de faire la lumière sur cette situation, que l'on devine déjà bien faussée par la voix du narrateur ? Celui-ci compte bien, au terme du tracé préliminaire des grandes lignes de sa vie, aller le voir, ce paysagiste ...

    ...

    Je vois la scène d'ici. Je sonne, un carillon égrène quatre notes au fond de l'appartement, je devine son pas dans le couloir, on dirait qu'il a des savates aux pieds, enfin il se décide à ouvrir, et toute son expérience de la comédie humaine ne l'empêche pas de vaciller au spectacle de la vieille femme à califourchon sur les épaules d'un homme, qui s'excuse en disant qu'il n'y peut rien, que sa vie est ainsi, qu'il a toujours eu sa mère sur le dos. Jusqu'au bout.

     

    Si j'ai éprouvé du plaisir à lire ce livre, je l'ai parcouru, de la première à la dernière page, avec l'idée que je traversais un paysage tranquille, sans grandes implications. Peut-être en va-t-il ainsi des livres que l'on ne découvre qu'au prétexte d'un peu de curiosité. J'ai retrouvé, et c'est peut-être de mon fait, un auteur qui a pris le temps d'écrire cette histoire, avec cela de réussi qu'elle s'étale sur une vie entière. Je ne devrais pas être surpris de ne pas avoir ressenti d'urgence, lorsque je découvrais, les uns après les autres, les pans de vie d'Archie. Peut-être qu'il fallait prendre son temps pour le lire, et que deux jours n'étaient pas assez pour ses trois cent pages, qui ne nous trouvent pas foncièrement préparés à leur densité certaine.

    J'en retiens de bons moments de lecture, des trouvailles, et un art consommé d'écrire une histoire ; il n'y a pas à dire, H. Nyssen sait y faire, à proposer une histoire intéressante, divertissante. Une petite sensation de longueur, à un moment quand même, en points négatifs ; les rebondissements de la vie fictive d'Eléonore écrivain, et l'irritation qu'elle provoque de par son omniprésence contrarieront peut-être autant le lecteur que le narrateur. Jusqu'à retrouver, selon le juste déroulement des choses, la marque implacable du vieillissement, qui vient nous informer des intentions de l'auteur quant à ce personnage hors du commun et à son influence sur son entourage.

    Eléonore emporte des vies dans son sillage, pour le bonheur de tous, dirait-on. Le lecteur est soulagé de parvenir à la fin. Point d'amertume, mais la sensation que dans une vie, quelqu'un à consommé la chose jusqu'au bout.

    Mon sentiment de lecteur est que le livre se déploie parfois trop longuement, et de temps en temps peine en évoluant autour du seul axe fictionnel évoqué dans les romans d'Eléonore Korab ; des percées dans l'intelligence du narrateur, ou de son entourage, viennent relancer souvent notre intérêt, lorsqu'ils semblent récupérer un semblant de contrôle sur leur vie, dont la mère est, au passé comme au futur, la toute puissante gardienne.

    Ce roman, dont le propos est construit en forme de piège, interrogera les vies assoupies, ou celles qui se vivent à l'ombre de personnages parfois trop charismatiques.


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    José Corti, 322 p.

    Lectures sans genre !

     

    Le rivage des Syrtes est un territoire éloigné, aux confins sudistes de l'état d'Orsenna, évocation brumeuse d'une Italie appartenant probablement au XVIII ème, voire XIXème. Un état jadis puissant, assis sur son ancienne notoriété conquérante, qui perpétue son existence de grand fauve endormi à travers le corps civil et les institutions qui le décrivent.

    Aldo, le jeune narrateur du récit qui, avec un style à l'autorité palpable, nous invite dès les premières pages à la découverte sensuelle comme intellectuelle d'Orsenna, appartient à une famille de noble ascendance. Presque hautain, quoique superbe, le style agit à ce stade comme un repoussoir pour certains, ou révèle sa vertu hypnotique pour d'autres. Je fais partie des seconds ; en tant "qu'auteur" (ma régularité dans la pratique ne me dispense pas encore des guillemets) j'ai été proprement soufflé par cette entrée en matière. Il y a là, concentrés en deux pages, les affres d'un ennui affleurant pleinement à la conscience du narrateur, tandis qu'il convoque le souvenir, dans son quotidien, des quelques évènements qui le verront prendre la route des Syrtes. C'est déjà, en un rien de lignes, d'une richesse et d'une expressivité extraordinaires...

    Des raisons qui feront, finalement, demander à Aldo d'être muté en service dans la région des Syrtes, la plus notable sera certainement l'ennui, donc, et le besoin de s'éloigner des cercles dorés qu'il fréquentait, ses études achevées, à la capitale ; il deviendra Observateur dans ces terres reculées, lesquelles font face, par delà les mers, aux côtes du Farghestan, un pays d'un lointain Orient ; trois cent ans en arrière, celui-ci connut, aux prises avec Orsenna, un bref épisode de guerre où s'échangèrent, avant sommations, plusieurs faits d'armes maritimes. Depuis, malgré la pérpétuation de cette mémoire, un véritable status quo a, de fait, transformé la région des Syrtes en un désert, où rien ne semble pouvoir seulement advenir. La guerre, et l'ancien ennemi avec, sont eux mêmes devenus des lointains, sans forme ni consistance.

    Lorsqu'Aldo débarque à l'Amirauté, la forteresse à flanc de rivage qui abrite les officiants de l'Etat, il se pénètre des habitudes locales, fait connaissance avec Marino, son supérieur... un homme qui semble, plus que tout autre, appartenir à ces lieux d'où s'élève un chant morne, celui de l'existence comme un préliminaire à l'oubli.



    De l'autre côté, des terres inconnues, qui ne tardent pas, en un filet de voix éteintes, à attirer l'attention d'Aldo. Le Farghestan.





    Je préfèrerai ne pas m'avancer beaucoup plus. Ce roman développe, durant ses trois cent vingt pages, des ambiances tout simplement sublimes, et un envoûtement certain. Lisez, prenez le temps de vous y engluer, car ici pas de façades, de savant aménagements concédés à ceux qui pourraient se sentir d'humeur un peu pressée, pour le coup !

    Assurément, je reviendrais sur Julien Gracq pour ses autres écrits... au passage, le Rivage des Syrtes obtint le Goncourt en 1951, mais son auteur le refusa, dans la continuité de sa longue détestation du milieu littéraire, drapé dans une superbe dont on ne peut parler à la légère, tant le personnage semble complexe. Une chose me dit, toutefois, qu'elle n'a probablement rien d'emprunté.

     

     


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  •  Denoël Lunes d'Encre, ??? pages

    Lectures sans genre !

     

     

    La liste qu'on peut trouver à côté correspond soit à des lectures anciennes, pour la plupart, ou bien à des livres que je compte lire et dont j'ai déjà fait l'acquisition.

    Celle-ci appartient à la première catégorie, et puis à une autre non mentionnée encore, puisque je viens justement de relire ce premier tome de la Forêt des Mythagos. L'image qui apparaît au dessus est celle du premier volume de l'intégrale publiée chez Denoël Lunes d'Encre. Je fais ici référence au commencement de la saga, que vous retrouverez dans un volume I de l'intégrale Denoël, donc, ou bien chez FolioSF qui découpe la saga en quatre parties/tomes.

    Oui, ce serait bien plus simple de coller l'image adéquate, effectivement, on est bien d'accord ! Mais celle-ci est nettement plus sympa à mes yeux.

    J'étais resté sur un sentiment mitigé à la première lecture, il y a un an et demi peut-être. Quelque chose m'avait déplu dans le traitement du sujet, et dans l'enchaînement qui l'emmenait à son terme. Mais quel est donc ce sujet, et comment en garder toute la saveur intacte sans trop en dévoiler ? La quatrième de couverture ne fait pas mystère de la tournure rapide que les évènements seront susceptibles de prendre ; on est aussi dans un livre de fantasy, et à ce titre on a les yeux rivés sur l'orée des bois de Ryhope, dès le départ. Nous sommes bien conscients qu'il s'y passe quelque chose.

    Le bois des Ryhope se situe "dans un coin perdu du Herefordshire [...]", et il constitue le "vestige d'une ancienne forêt remontant à la dernière glaciation". Ryhope est le nom d'une famille qui semble posséder les terres alentours, et il n'est, curieusement, que très peu question de celle-ci au cours du roman.

    Nous n'avons guère eu le temps de vivre auprès de la famille Huxley, qui habite une demeure située à la lisière de ces bois, avec la bénédiction de l'autorité locale que sont les Ryhope. Le livre à peine ouvert nous voilà à évoquer le passé, aux côtés de Steven Huxley, le deuxième et dernier fils de George et Jennifer Huxley, cadet de son frère Christian. Ce temps révolu, que Steven nomme l'enfance, est une ère lointaine et habitée de mystères, de craintes et d'une douleur qui semble s'être apaisée dans l'attente de l'avenir, d'un autre avenir. Il y a ces souvenirs d'un homme bourru, comme possédé, qui était son père. Les odeurs dont il finissait par s'imprégner, alors qu'il passait des jours, puis des semaines absent dans les bois. Les réminiscences du jeune homme ne lui épargnent pas non plus la silhouette de sa mère, sombrant peu à peu dans la folie face au mutisme de son mari, et à son obsession pour la forêt, dont il confie les détails hallucinés, à travers les pages de son journal.

    Une sombre acceptation semble avoir accompagné Steven avec l'âge adulte, alors qu'il est mobilisé pour la guerre, au mois de mai 1944. Il récupère des forces, au terme de celle-ci, dans un village en Provence, presque pendant deux ans. Et ce sont, donc, les premières pages du livre.

    Tout s'y déroule exactement comme si le passé avait fini de vivre de son écrasante présence. Steven semble suggérer, quant à ces deux années de convalescence, qu'elles lui ont permis de se faire des amis, et de prétendre à une certaine quiétude dans une région où le soleil commande de se faire à une vie lente et paisible.

    Son frère Christian, avec qui il correspond régulièrement, est lui aussi revenu de la guerre, pour s'en retourner aussi vite vers l'ancienne demeure familiale de Oak Lodge, où vit encore son père. Les lettres font état d'une tension grandissante entre eux, et d'un état d'aboutissement terminal de son obsession pour le bois. Jusqu'à la mort du désormais vieil homme, qui condamne Christian à la solitude dans la maison de famille. Steven s'y rend alors, pour l'en soulager.

    Il remarquera en premier lieu que son frère, jadis vigoureux et en bonne santé, semble avoir subi le travail d'une pente où le physique suit la voie d'une étrange dégradation. Et son inclinaison, il en jurerait, le pousse à rassembler du père et les traits, et l'allure sauvage. Ces retrouvailles seront marquées d'un fort non-dit, d'une appréhension visible de part et d'autre ; car Christian a bel et bien repris les travaux mystérieux de son père, et n'entend pas laisser à Steven l'occasion d'interférer dans ce qu'il ne manquerait pas de considérer comme le début d'une nouvelle ère de folie. Le passé fait écho.

    Mais s'agit-il vraiment de folie ? Le bois des Ryhope attend, sombre et souvent impénétrable tant la végétation y est dense.

    Est-il possible de chavirer dans le passé ? Steven et Christian ont-ils jamais quitté le lieu du naufrage originel, où cette forêt a littéralement avalé leur père, et leur vie avec ? Quel autre destin pour eux que d'y revenir ?

    Le temps pourrait menacer de s'écouler lentement, trop lentement. Et si le passé a seulement encore un sens, tant il est, de fait, prégnant dans la vie de Steven, une certitude prend peu à peu le lecteur : la vie n'est pas à la lisière des bois. La vie se trouve, au contraire, au plus profond de ceux-ci, et l'appel qui en monte a ceci d'étrange que toute réalité, bientôt, perdra de son autorité face aux charmes d'un monde endormi, enfin décidé à se dévoiler.

    C'est une expérience troublante que de plonger dans la Forêt des Mythagos. Je ne suis pas forcément pour crier au chef d'oeuvre, mais il faut admettre que la thématique est redoutable. Cette sensation de glissement progressif, mais irréversible, vers l'ailleurs, est pour moi un des objets de contemplation les plus réussis de cette aventure. J'ai pris un risque ici : de ne pas en dire assez, probablement. Une quatrième de couverture pourrait vous renseigner plus efficacement sur le contenu de ce livre. Mais pour moi, elle en donne définitivement trop !

     

    N'hésitez pas, si vous avez déjà lu, à donner vos impressions...  

     

     

     

     

     


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    Michel Jeury, auteur connu et reconnu des lecteurs de SF. Pas suffisamment de moi, qui ne suis pas un gros lecteur, et encore moins de SF.

    Je n'ai fait que de brèves incursions dans ses univers, la "faute" a un gros recueil paru aux Moutons : la Vallée du Temps Profond. Parfois frappé par la densité de son imaginaire, emballé quoi, et d'autres fois retenu contre mon gré aux premières pages d'une nouvelle, puisqu'il s'agit d'un recueil compilant une bonne partie (l'intégralité?) des parutions de l'auteur sous ce format. Michel Jeury n'est pas toujours facile d'accès, peut-être cela tient-il à mon petit côté néophyte, de la SF comme de l'auteur. Je progresse lentement à travers le recueil, qui a pour vocation de valoriser ces écrits, de documenter leur création et de proposer des entretiens avec l'auteur, et autres informations plutôt copieuses sur l'oeuvre comme sur l'homme.

    Bien. Venons en au Temps Incertain. Impossible, tout d'abord, de résister au plaisir de reproduire l'image de l'objet, tel qu'il fut entre mes mains. Je l'ai trouvé dans une bouquinerie à Bruxelles, et c'est bien un dessin de Jackie Paternoster qui orne la couverture. Je sais que beaucoup de gens n'apprécient pas son travail, et moi je n'ai pas trop d'avis là dessus, si ce n'est que cette couverture là restera celle sous laquelle j'ai découvert le Temps incertain ! Je trouve l'allure générale de l'illustration furieusement vintage, et ma foi, ça colle bien avec les pages jaunies, avec la date de parution aussi...oui, je n'ai rien trouvé de mieux.

    L'objet, encore et toujours l'objet ! On y revient même avec des livres achetés d'occasion, ça reste important, pour moi en tout cas. Je ne suis pas fan de l'occasion à la base, mais je pourrais bien y prendre goût.

     

    Allez, si on doit commence à parler du livre, je peux déjà affirmer que j'aurais probablement détesté cette couverture si le contenu n'était pas à la hauteur. Voilà ce qui explique peut-être mes précédentes largesses, en fin de compte.

    Le Temps Incertain, c'est l'histoire d'un temps décomposé, absurde, dont plusieurs personnages vont faire l'expérience, à leurs dépens.

    Dans un futur proche, situé à un peu plus de la moitié du XXIème siècle, le Docteur Holzach, psychronaute de son état et attaché à l'Hopital Autonome Garichankar, participe à un voyage de reconnaissance dans l'univers chronolytique, par le biais d'une drogue issue de la recherche. Cet univers, que l'on nomme également l'Indéterminé, est caractérisé par des distortions temporelles, spatiales, "pour peu que ces notions aient encore un sens ici", ainsi qu'il nous sera régulièrement rappelé.

    Le Docteur Holzach est chargé d'infiltrer l'identité de Daniel Diersant, un homme de 1966 évoluant, comme nombre de ses semblables, au coeur du Temps incertain. Si depuis quelques années, les Hopitaux Autonomes s'efforcent de mieux connaître et de mieux percevoir le Temps incertain, c'est que par le biais de celui-ci, il semble que les vestiges d'un ancien empire industriel très puissant au XXème siècle, nommé d'après les initiales de son fondateur mégalomane, Harry Krupp Hitler Ier (HKH), subsistent dans l'univers chronolytique ; et Daniel Diersant, que l'Hopital de Garichankar a identifié comme l'un de ses agents, serait la clé de la résurgence de cet Empire, et de son possible débordement dans l'univers réél, après l'invasion de ce monde satellite qu'est le Temps incertain. Bien évidemment, le monde de la fin du XXème siècle de Jeury est à la fois doté d'une histoire plus tragique que la notre, et proche de ce que nous avons pu connaître ; un libéralisme effréné, mais aussi un total effondrement des gouvernements "publics", auxquels des entreprises privées se sont inévitablement substitués.

    Le mebsital, la drogue permettant d'entrer en chronolyse, suppose bien souvent une superposition de personnalités. Il faut à Holzach un hôte, auprès de qui son esprit pourra se synchroniser ; il sera donc indissociable de Daniel Diersant, et, fort du paradoxe égotique, comme temporel, qu'il devra assumer, partira à la recherche de la vérité concernant sa présence dans l'Indéterminé, laquelle devrait permettre de lutter contre l'Empire HKH. Une lutte permanente s'engage pour lui ; ne pas sombrer dans la folie qu'induit cette expérience "limite".

     

    Cet homme, prisonnier dans le monde du Temps incertain, sait pour sa part avoir été victime d'un accident ; il ne sait pas dans quel sens l'entendre, et revit, selon les lois qui régissent l'univers chronolytique, des séquences récentes de sa vie qui l'ont confronté à ses supérieurs de l'usine de Choisy, et à la police privée de la société pour laquelle il travaillait.

    Des séquences qui se répètent, indéfiniment, en lui proposant d'infimes variations ; des séquences où il est à la fois conscient d'être dans une sorte de rêve, tout autant que dans une réalité poignante, comme en témoignent son trouble, et son désarroi face à l'impuissance qui le tenaille. Le voici, pour la centième fois peut-être, lancé avec sa voiture dans les allées qui longent l'usine, et prêt, cette fois encore, à voir une 404 grise, appartenant au chef de la sécurité, foncer sur sa Volkswagen et manquer de le percuter. Le voici, moment ô combien détestable, à parlementer avec l'odieux chef Forestier, à la machoire carrée, osseux, maîtrisant l'art de l'invective, de l'interrogatoire...

     

    Imageries totalitaires, cauchemars poisseux et épais ; Diersant se déplace tant bien que mal dans l'Indéterminé, qui n'est ni passé ni futur, simplement un ailleurs qui existe à la fois par des représentations, telles qu'elles lui sont suggérées sous la forme de ces séquences dont il semble impoossible de s'échapper, puis à part entière, lorsque des éclairs de lucidité, la primauté de son existence, de son vécu immédiat lui sussurrent qu'il ne peut faire confiance qu'à ce qu'il ressent. Et Forestier, les séides de HKH, feront tout pour l'empêcher de fournir des informations à Garichankar, et de se libérer de leur étreinte. Car il semblerait qu'en l'Indéterminé, HKH règne en maître, et ne cesse d'accroître sa puissance suggestive.

     

    Lire le Temps incertain, c'est se confronter à la tyrannie de l'instant, vécue de façon anarchique. Les temps que nous vivons y font déjà un lointain écho ; HKH n'y existe pas, mais ses équivalents pour nous façonnent, par leur hyperprésence, les modes de vie, les aspirations et le rapport au temps. Il existe une victime, esseulée, et c'est de l'homme dont il s'agit. Face à la volatilité de ses désirs, à ses difficultés à être présent au monde, à jouer de sa volonté, il y a des échappatoires. Daniel Diersant, qui n'est que péniblement conscient de son identité déjà dédoublée, ne cesse de se demander comment il pourra "en sortir". et n'a de cesse de se souvenir qu'avant l'enfer chronolytique, il connaissait déjà la souffrance.

    Les mots de ceux qui tourmentent Diersant vont à leur tour venir tourmenter le lecteur, former une pâte épaisse dans la bouche, écoeurante de déjà-vu, avec son arrière goût de résignation tenace.

    Qu'est-ce que le Temps incertain ? Que signifierait "en réchapper" ? Le mieux, le pire ont-il alors un sens si précis, si pertinent ?

    Lecture chaudement recommandée, peut-être dans une édition plus récente, d'ailleurs ?

     

     

     


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  • Actes Sud, collection Babel, 443 p. 

     

    Il s'agit de ma première incursion dans l'univers de Henry Bauchau.

    L'homme était psychanalyste de formation, écrivain, dramaturge, essayiste... décédé il y a peu (mise à jour). Au centre de son oeuvre, la création artistique, l'interrogation sensible et obséquieuse des ponts qui unissent l'art et la vie. Vie des songes et vie constituée de ces moments où nous sommes simplement éveillés, mais toujours au centre de ce qui bouillonne, perpétuellement, au plus profond de nous.

    L'enfant bleu est le récit d'une rencontre, entre Véronique, psychanalyste en hôpital de jour, et Orion, dont les années s'écoulent sans que sa situation d'adolescent psychotique ne semble offrir de véritable issue. De crises en crises, et en s'investissant grandement dans sa relation thérapeutique avec Orion, un chemin s'esquisse lentement pour ce dernier, qu'elle oriente peu à peu vers la peinture, et la transcription de ses délires par lesquels il vit, ressent, et souffre tout à la fois d'inadaptation. Nous le savons, et c'est ce que semble promettre le récit : Orion va peu à peu apprivoiser ses peurs, et s'il ne guérira certainement pas, il trouvera une voie d'expression à son malheur, et une possibilité d'être au monde via ses activités artistiques, dans lesquelles il se révèle, j'ai oublié de le dire, particulièrement doué, sensible et inspiré.

    Quel est l'intérêt de cheminer, page après page, aux côtés de ces personnages ? On peut parfois être rompu aux usages du roman ; ici, pas de scénario "à échelons" à proprement parler, mais plutôt l'investigation d'un quotidien, menée par l'écriture épurée de l'auteur. En filigrane apparaissent tour à tour les félûres de la psychanalyste, ses espoirs ardents, la dynamique transférentielle qui attache son destin à celui d'Orion. Le récit nous dispense également de longues plages de tranquilité, où Véronique et son mari Vasco vivent ces heures creuses et silencieuses que partagent les couples ; une paix intense semble se dégager de leur relation, tandis qu'ils devisent, sans hâte, de l'avenir d'Orion, de son éveil à son art, ou bien plus simplement de leurs destins respectifs, en pleine conscience des aspirations qui les guident chaque jour.

    Le point qui m'aura le plus marqué concerne l'intentionalité du récit : les personnages de Bauchau sont de véritables héros, portés par un irrépressible élan. Ils avancent en pleine lumière d'eux-mêmes, sans éviter les chausse-trappes, toujours ratrappés par l'inévitable consommation des heures, tatônnants, patients à leur décharge, pour trouver leur chemin.

    Des héros qui jamais ne se détournent d'eux mêmes, sont à contre courant du mot d'ordre implicitement véhiculé par nos sociétés modernes, où tout doit advenir plus vite, où la recherche de l'intensité devient tyrannique. Ils possèdent la stature de ceux qui ne souhaitent pas s'endormir sur leurs vies, s'ouvrent au risque, et recherchent une autre intensité, celle de l'écoute, vers la réalisation. L'échec y est toujours envisagé, jamais renié tout du moins ; pour ces raisons, L'enfant bleu est le récit d'une certitude, celle de l'incroyable aventure intérieure qui existe en chacun de nous, et sur nos différentes échelles de temps de vie ; la seule que l'on ne puisse hâter, et dont nos jours constituent le modeste spectacle.

    Un livre lumineux, où les temps morts sont définitivement exclus. Que j'ai trouvé assez fascinant.


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  • Bienvenue en ces lieux, qui n'ont d'autre vocation que de faire partager des sentiments à propos d'une lecture, d'une humeur du jour (ce sera le plus rarement possible) ...

    Essayer de mettre des mots sur des impressions de lecture, des coups de coeur, et les écrire ici pour ne pas les oublier. Un moyen de vivre un peu plus longtemps au coeur des livres, et peut-être d'échanger ces impressions. Pour les confirmer ou pour en sortir, peu importe.

    Chacun est libre d'y laisser des commentaires élogieux, bourre-pif ou d'errer en silence (je m'attends à ce que cela soit longuement le cas, n'étant pas un participant acharné des forums.)

    Mais bienvenue aux éventuels visiteurs, une fois de plus.

     

    ...bonne visite ! Pour l'heure, c'est assez maigre, je l'avoue !


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